La Retirada : L’exode républicain espagnol de 1939


Dans le cadre de la transmission de la mémoire de l’exil républicain, l’Institut de langue espagnole ELE USAL Strasbourg accueillera deux conférences animées par Carine Durst, autrice de travaux de vulgarisation sur la Retirada et l’exil en France; ces rencontres s’inscrivent dans le cycle de fin d’année « 50 ans de liberté », en commémoration de la mort du dictateur Franco.

 

La Retirada : que s’est-il passé ?

 

En janvier et février 1939, l’Europe assiste à l’un des plus importants mouvements de population de son histoire contemporaine. La chute de Barcelone le 26 janvier 1939 aux mains des troupes franquistes déclenche un exode massif de près de 500 000 républicains espagnols vers la France. Cet épisode dramatique, connu sous le nom de Retirada (« retraite » en espagnol), marque la fin de la guerre civile espagnole et le début d’un long exil pour des centaines de milliers de personnes.

 

Réfugiés républicains espagnols pendant la Retirada de 1939, marchant à pied avec leurs biens.

 

L’effondrement du front catalan

 

La Retirada s’inscrit dans le contexte de la défaite progressive des forces républicaines face aux troupes nationalistes du général Franco. Après trois années de guerre civile (1936-1939), l’avancée des troupes franquistes en Catalogne et la chute de Barcelone provoquent l’effondrement du front républicain. Militaires et civiles, craignant les représailles du nouveau régime, n’ont d’autre choix que de fuir vers la frontière française.

 

La Retirada : L'exode républicain 1

Foule de réfugiés républicains espagnols au poste frontière du Perthus lors de la retraite vers la France en 1939.

 

Le gouvernement républicain espagnol avait pourtant alerté les autorités françaises dès janvier 1939, demandant l’accueil de 150 000 réfugiés civils. Mais le gouvernement français d’Édouard Daladier, qui n’avait prévu que 15 000 places dans quelques camps, se trouve rapidement débordé par l’ampleur de l’exode.

 

Un exode sans précédent

 

Entre le 28 janvier et le 13 février 1939, plus de 475 000 personnes franchissent la frontière franco-espagnole par les principaux points de passage : Le Perthus, Portbou, Cerbère et Bourg-Madame. En seulement trois jours, 140 000 hommes, femmes et enfants entrent en France dans des conditions dramatiques.

 

La Retirada en 1939.

Photo historique montrant l’exode massif des réfugiés républicains espagnols traversant la frontière française pendant La Retirada en 1939.

 

Cette population hétérogène comprend des soldats de l’armée républicaine, des miliciens, des civils de tous âges, des membres des Brigades internationales, mais aussi des personnes sans engagement politique particulier fuyant simplement la guerre. Environ 36% des réfugiés sont originaires de Catalogne.

 

L’accueil difficile en France

 

Face à cet afflux massif et imprévu, les autorités françaises mettent en place un dispositif d’urgence. La frontière s’ouvre d’abord aux civils le 28 janvier, puis aux militaires le 5 février 1939. Les réfugiés sont d’abord regroupés dans des centres de triage improvisés à Prats-de-Mollo, Arles-sur-Tech ou Le Boulou, avant d’être dirigés vers des camps de concentration – terme officiel de l’époque.

 

Camp de réfugiés la Retirada de 1939.

Camp de réfugiés avec des tentes de fortune illustrant les conditions de vie des exilés républicains espagnols en France après la Retirada de 1939.

 

Les camps les plus importants sont établis sur les plages du Roussillon : Argelès-sur-Mer, Saint-Cyprien et Le Barcarès, ainsi que dans l’arrière-pays à Gurs, Le Vernet d’Ariège, Septfonds ou encore Rivesaltes. Ces installations de fortune, construites à la hâte, offrent des conditions de vie particulièrement difficiles.

 

Des conditions de détention inhumaines

 

Les témoignages des internés révèlent la dureté des conditions dans ces camps. À Argelès-sur-Mer, le plus important avec plus de 100 000 internés, les réfugiés dorment à même le sable, sans abri, par un hiver particulièrement rigoureux. Rosa Laviña, internée à Argelès, témoigne : « On nous a dit de nous installer où on voulait ; il y avait des baraques (…) sans plancher ; à Brûlon nous dormions sur le plancher et il nous semblait que le sable serait plus confortable. Le lendemain matin, on a cherché une cabane avec du plancher, le sable était trop humide ».

 

Vue aérienne d’un camp d’internement de réfugiés en France où étaient détenus des exilés républicains espagnols en 1939.

 

L’eau potable manque, la nourriture est insuffisante et de mauvaise qualité, et les installations sanitaires sont inexistantes ou rudimentaires. Les camps sont entourés de barbelés et surveillés par des gardes mobiles. À Saint-Cyprien, Luis Bonet décrit : « Nous continuons en vain d’attendre une distribution de nourriture qui apaiserait notre faim (…) Pour nous accueillir, seuls ont été prévus des carrés de terrain délimités par quelques piquets enfoncés dans le sable. Ils sont reliés entre eux par plusieurs lignes de barbelés, pour nous parquer comme on le fait pour les vaches ».

 

L’évolution du destin des réfugiés

 

Face à cette situation, plusieurs possibilités s’offrent aux réfugiés :

– Le retour en Espagne : Encouragé par les autorités françaises et par Franco lui-même, qui lance un appel à ses « fils résidents en territoire français », le rapatriement concerne rapidement un grand nombre de réfugiés. Dès août 1939, 250 000 personnes sont retournées en Espagne, chiffre qui atteint 360 000 en décembre. Malheureusement, beaucoup de ces rapatriés sont emprisonnés ou exécutés à leur retour.

– L’intégration dans l’effort de guerre français : Avec le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale en septembre 1939, de nombreux hommes sont incorporés dans les Compagnies de Travailleurs Étrangers (CTE), puis dans les Groupements de Travailleurs Étrangers (GTE) sous Vichy. Environ 9 000 s’engagent dans la Légion étrangère ou l’Agrupación de Guerrilleros Españoles.

– L’émigration vers des pays tiers : Entre 10 000 et 25 000 Espagnols quittent la France pour d’autres destinations. Le Mexique accueille notamment 15 000 à 18 000 réfugiés, l’Argentine environ 10 000, et le Chili 2 200.

– La déportation : Tragiquement, plus de 12 000 républicains espagnols sont déportés vers les camps de concentration nazis, principalement Mauthausen-Gusen où 4 676 périront sur les 7 288 enregistrés.

 

Un héritage mémoriel important

 

La Retirada laisse une trace profonde dans la mémoire collective européenne. Elle constitue le premier grand drame humanitaire du XXe siècle européen et préfigure les déplacements massifs de population qui marqueront la Seconde Guerre mondiale.

 

Panneau d’information détaillant les groupes internés au camp français de Gurs entre 1939 et 1944, notamment les républicains espagnols et les réfugiés juifs.

 

Aujourd’hui, plusieurs sites mémoriels perpétuent le souvenir de cet épisode : le Mémorial du camp de Rivesaltes, le Mémorial d’Argelès-sur-Mer, ou encore les vestiges du camp de Gurs. Ces lieux de mémoire témoignent de la nécessité de transmettre cette histoire aux nouvelles générations, comme le rappellent les conférences organisées par l’Institut de langue espagnole ELE USAL Strasbourg.

L’histoire de la Retirada nous enseigne l’importance de la solidarité internationale face aux drames humanitaires et la nécessité de préserver la mémoire des victimes de l’intolérance et de la guerre.

 

Carine Durst

 

Carine Durst, autrice de « Un Chemin de la Retirada », est la petite-fille d’une réfugiée espagnole. Animée par le désir de transmettre à ses enfants l’histoire de sa grand-mère et celle de la famille Gandarillas, aux racines basques, elle s’est lancée dans un projet personnel. Son histoire familiale s’inscrit dans la mémoire historique des républicains espagnols : un récit de guerre civile, d’exil, de renoncement et d’espoir.

Elle s’est heurtée à une difficulté majeure : comment expliquer cette réalité complexe à des jeunes qui ignorent tout des concepts de « guerre civile » ou de « réfugié politique ». Elle tenait absolument à ce qu’ils comprennent le contexte historique de l’Espagne de leur arrière-grand-mère.

Après avoir cherché en vain un livre qui expliquerait ces événements aux adolescents comme elle le souhaitait, et avoir beaucoup lu sans trouver son bonheur, elle a pris une décision : l’écrire elle-même. Sa motivation puise ainsi sa source dans un lien familial fort et un engagement pour la transmission de la mémoire.

L’autrice interviendra lors de deux conférences à Strasbourg pour approfondir la mémoire historique de la Retirada.

 

📅 CONFÉRENCE 1 : « Comment parler de la guerre civile et de l’exil aux adolescents ? »

Public : Réservée aux enseignants et aux professionnels de l’éducation.

Date : Mercredi 8 octobre 2025.

Horaire : 18h00 – Accueil / 18h15 – Début de la conférence.

Lieu : ELE USAL Strasbourg, 9 Rue Saint-Aloïse, 67100 Strasbourg.

Contenu : Une réflexion pédagogique sur la transmission de ces thèmes complexes aux nouvelles générations.

 

📅 CONFÉRENCE 2 : « Février 1939 : des républicains espagnols dans des camps français »

Public : Ouverte à tous.

Date : Jeudi 13 novembre 2025.

Horaire : 18h00.

Lieu : ELE USAL Strasbourg, 9 Rue Saint-Aloïse, 67100 Strasbourg.

Contenu : La conférence sera suivie d’un échange et d’une séance de dédicace.

 

ℹ️ Informations pratiques :

Inscription : Entrée libre sur inscription obligatoire, en raison des places limitées.

Comment réserver : Envoyez un email à info@strasbourg-eleusal.com pour réserver votre place (modalité identique pour les deux conférences).

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